samedi 10 août 2013

Loi du plus fort ?




Nous fûmes nombreux, dans notre jeunesse, à devoir nous pencher scolairement sur certaines fables de l’âge classique. En étude de texte, en analyse de style, voire, pour les plus malchanceux, en guise de punition.
Sous quelque forme qu’elle nous soit parvenue, l’une est restée plus particulièrement en nos esprits. Ne serait ce que par sa conclusion, proposée dès le début et censée être démontrée par la suite : le Seizième Tableau du Premier Tome des Fables de La Fontaine ; la fable du Loup et de l’Agneau. La plus bestialement féroce. La plus redoutée de toutes, à juste titre. Mais peut-être aussi : la moins comprise. 
Souvenons-nous :

« La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

-          Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.

-          Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.

-          Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

-          Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère

-          Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

-           Je n'en ai point.

-          C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge. »

Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.


La conclusion que l’on tire d’ordinaire de ce saisissant résumé de la brutalité de du monde tient tout entière dans sa première phrase : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».

Ce qui, tout bien considéré est un joli et double contre-sens : non seulement cette fable toute entière démontre à foison que la force brute, animale, instinctive qui s’exprime du loup est précisément … sans raison ; que rien ne peut le raisonner justement et que la supposée raison du plus fort est avant tout une force irraisonnable.

Mais en plus, comment ne pas être frappé par le fait que cette conclusion n’en est pas une ? Qu’elle intervient, littéralement, au début du texte. Qu’elle ne le conclut justement pas. Nous sommes là en l’exact contraire d’une morale, telle que celle-ci nous est donnée à connaître dans d’autres contes, ceux de Perrault par exemple. Ceux qui donnèrent à enchanter des enfances, à calmer des peurs, à raisonner des angoisses et à trouver, à l’issue d’un cheminement, un sens à l’histoire toute entière.

Dans le Loup et l’Agneau, rien de tout cela : la conclusion n’est pas en conclusion. Elle ouvre la fable et les derniers instants de celle-ci sont simplement l’illustration sanguinaire de ce principe de brutalité, de ce rapport de forces qui n’a nullement besoin de démonstration. D’ailleurs, comment sans soucierait-il ?, puisqu’il n’est, par nature, pas une morale mais un instinct.

Cette fable, dans sa lecture classique, celle généralement admise par notre enfance et celles qui l’ont précédé, est profondément désespérante. Elle est sans issue, puisqu’elle est sans raison. Et puisqu’elle est sans raison, elle est sans secours pour l’humanité. C’est une fable décidément sans morale, dans sa lecture usuelle.
A la prendre au pied de sa lettre, l’arbitraire serait dominant sans avoir de compte à rendre, la force seule serait justificatrice, l’état de nature prévaudrait sur toute autre logique et la valeur serait assujettie à la puissance. Une puissance puisée dans la naissance (es tu né loup ou agneau ?) et non dans le comportement raisonné (me déranges-tu en buvant l’eau du ruisseau à distance suffisante de mon espace préféré ?)
C’est du reste d’interprétation la plus usuellement donnée à cette phrase pourtant singulière qui pose sacrément question « si ce n’est toi, c’est donc ton frère » : au fond, peu importe que ce soit toi ou ton frère – c’est-à-dire en l’espèce toi-même ou un autre de la même engeance – : vous êtres tous pareils, puisque vous êtes tous semblables ; vous n’avez plus d’identité puisque vous formez une seule identité…
Vous êtes, précisément, identiques, indistincts, interchangeables ; vous n’êtes plus un individu mais une espèce.

Et la question devient non plus qui vous êtes, mais ce que vous êtes.
Le qui serait pourtant assez facile à répondre : l’agneau est un animal paisible et intelligent, jeune encore, loin de son troupeau, qui tente de survivre avec un double signe d’intelligence : en s’abreuvant d’une part, mais en le faisant a respectueuse distance de son prédateur. Ce qu’il justifie au besoin : il boit vingt pas en dessous du monstre pour ne le point déranger. A-t-on vu victime plus serviable ?

Peine perdue. Dans l’esprit du prédateur, peu importe qui vous êtes, mais ce que vous êtes : un agneau poli est autant agneau qu’un agneau sauvage. Dans la tradition classique le « si ce n’est toi, c’est donc ton frère » ne signifie rien d’autre que cela : je peux te dévorer toi à la place de ton frère, cela ne changera rien. Si qui vous êtes est différent, en revanche ce que vous êtes est identique.
D’où l’impuissance du mouton de la Fable à démontrer qu’il n’a bel et bien pas de frère biologique. Cela importe peu au raisonnement bestialement totalitaire : je suis un loup comme un autre, tu es un mouton comme un autre, je dois te dévorer. Qu’importe si, en tant que ce loup-là, j’aurais-dû épargner ce mouton –ci. C’est un instinct sans loi, une force dans raison, un principe sans morale : tout loup doit manger tout mouton.

Sauf que la Fable – et nul ne songe à l’en blâmer – fait fi d’une échappatoire proprement extraordinaire que de Loup laisse à l’Agneau..Et précisément par cette même phrase « si ce n’est toi, c’est donc ton frère ».
Par quelle stupidité celui-ci peut-il répondre, avec une timidité qui est au mieux une faute tactique devant un prédateur : « je n’en ai point » ?

Imagine-t-on cela, dans une Fable de La Fontaine ou la ruse, cette forme astucieuse de l’intelligence, sert bien souvent à déjouer les pires fatalités ?
Mais, cher agneau, il fallait répondre l’inverse de ce que tu as dit. Plutôt que d’avouer être mouton unique, tu devais s’inventer sur le champ – pardon, sur le pré – une fratrie immense ; tous semblables sans doute, mais d’un nombre prompt à faire fuir l’adversaire.

Je te dois même un aveu, cher agneau : il eut suffit que tu mentionnes l’existence d’un frère ou d’une sœur, tellement féroce dans l’art de venger d’un des siens, que le Loup eut sans doute lâché l’affaire. Ce n’est pas son courage qui est loué dans le conte : c’est sa force brute.
Sais-tu quelle aurait été son attitude, s’il avait entrevu des obstacles sur le plan d’exécution de son instinct ? Sais-tu ce se serait passé si un souffle de raison était venu troubler l’accomplissement de sa bestialité ?
Sais-tu, en un mot, si un frère – de sang ou de cœur – n’aurait pas pu sauver ta vie toute entière ?

Et nous, qui relisons indéfiniment cette Fable en confondant sa première phrase (qui est une malédiction), et une morale (qui devrait être le contraire), ne sommes nous pas injuste avec La Fontaine ?
Au fond, dans sa manière madrée de faire la leçon aux puissants, ne serait-ce pas là un message qu’il aurait pu vouloir nous laisser ? Ce « si ce n’est toi, c’est donc ton frère » pourrait il s’entendre autrement ? Par exemple : « pour rester toi, ne reste pas sans frère ». Ou « pour te sauver, trouve toi un frère, au besoin invente-le ».

Sémiologie, mode Barbade





Nous nous sommes déjà penchés à plusieurs reprises, dans ce blog, sur des moments de « sémiologie spontanée ». L’unique chanteuse Barbadienne à renommée mondiale (Robyn Rihanna Fenty, de son nom complet) doit en être adepte, son tube planétaire Pour It Up affirmant, comme un mantra : « Tout ce que je vois, ce sont des signes ».


A l’aune de cette interrogation simple (Rihanna serait-elle Roland Barthes en string ?), nous proposons de relire calmement quelques passages de son hymne sémiologique contemporain :

 « Tout ce que je vois ce sont des signes, tout ce que je vois ce sont des signes de dollar
Argent sur mon esprit, argent, argent sur mon esprit, jette, jette-le
Regarde-les tomber du ciel, jette, jette-les
Observe tout tomber, verse le, verse le
C'est comme ça qu'on dépense, jette, jette-les
Observe tout tomber, verse les, verse les,
C'est comme ça qu'on dépense.

Le valet a coûté cent factures, j'ai toujours mon argent
Couvre d'or mon visage, j'ai toujours mon argent
J’ouvre et ferme une affaire, j'ai toujours mon argent
Qui se préoccupe de ce que je dépense, j'ai toujours mon argent
Ma poche est profonde et ne finit jamais, j'ai toujours mon argent
Je vais devenir muette avec tout mes amis, j'ai toujours mon argent

Tout ce que je vois ce sont des signes, tout ce que je vois ce sont des signes de dollar ».

Sans commentaire ? Plutôt l’inverse : commentaire à soi seul.